Face/off
IL Y A CINQ ANS, je m’engouffrai dans un labyrinthe. A l’orée du Vieux-Lille, la vieille Bourse donne le signal du départ. Vermillon et crème, la bâtisse du XVIIème siècle a un air de malice. Comme un clin d’œil au passé flamboyant de la ville, elle semble s’enorgueillir de sa magnificence. Fausse impression. Pudique, elle n’ouvre ses charmes que ponctuellement, dans la semaine. A partir d’elle, je découvre des méandres de petites rues cabossées, qui vont cahin-caha, irrégulières, qui semblent s’excuser de revivre une seconde jeunesse, depuis leur rénovation, à la précédente décennie.
La rue Esquermoise me tend les bras. Aguicheuse, elle offre une pléiade d’appels au rêve. Les vitrines sont léchées, les enseignes emblématiques. Le Général de Gaulle ne raffolait-il pas des gaufres de chez Meert ?
Je n’ai jamais su si on prononçait « Mer » ou « Merte ». Enguirlandée, la rue serpente allégrement, comme ses consœurs commerçantes de la Monnaie ou Lepelltier. De temps à autre, leurs sœurs cadettes se laissent surprendre. Une ribambelle de ruelles adjacentes ondulent en catimini et s’accrochent à leurs aînées. Ainsi, la rue St-Etienne, qui débouche sur la rue Esquermoise, juste avant Meert. Sans apparat, dénudée et grise, elle n’a comme pedigree nordiste que son estaminet, « Le Barbue d’Anvers ».
L’alternance continuelle entre luxe et humilité me frappe. On m’avait trop souvent opposé le luxe, le calme et le faste d’un Vieux-Lille éternellement endimanché au bric-à-brac de Wazemmes ou de Moulins. De prime abord, Lille est bicéphale. Pas de mélange de genres entre la somptuosité du Vieux-Lille et la polymorphie tapageuse des autres quartiers. Un point commun pourtant : Lille est une ville humide. Au premier pas, trop sûre de moi, je glisse. Il faut prendre le temps de tâter la pierre, sans la déranger, sans qu’elle se fâche et se venge inexorablement sur mon sens de gravité. Car Lille est pavée. Malheur à celui qui cherche à défier la kyrielle de dalles moites à toute heure de la journée. Il ne pleut pas si souvent que ça à Lille. Mais le ciel laiteux et lumineux est toujours prêt à s’essorer au-dessus de nos têtes. « Un ciel si bas qu’il fait l’humilité », pour parachanter Jacques Brel. Un ciel qui chapeaute son trésor lillois, comme la dernière touche à un costume qu’elle assume à peine.
Véritable loup-garou, Lille est une actrice le soir, parée pour le rôle qu’on lui prête aisément. Les étudiants alimentent son jeu de scène en lui donnant la réplique, dans les bars, jusque tard dans la nuit. La journée, elle joue franc jeu. Lorsque je côtoie et rencontre ses habitants, il n’y a pas de place pour le chichi. Le contact humain est simple, direct et chaleureux. Une réminiscence du temps où Lille était industrieuse. Les courées subsistent gaillardement. Rue de Trévise, rue de Douai ou derrière le marché de Wazemmes, un seul regard égaré suffit pour les saisir sur le vif. Des familles continuent d’étendre leur linge. Le passé est sauf, Lille est en vie.
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